Goûter la couleur

On mange d'abord avec les yeux. C'est le sens le plus distal, le premier sollicité dans l'acte de manger. La couleur, la forme, l'aspect jouent un rôle déterminant dans l'évaluation de l'aliment et de son caractère appétissant. Mais l'information visuelle prédomine tant sur l'information gustative qu'elle peut influencer la perception même du goût : une pâtisserie rouge, par exemple, est associée dans notre mémoire à un arôme rouge : fraise, framboise, cerise... Or même si la pâtisserie rouge est au citron, on tend à percevoir d'abord le « goût de la couleur ». Décorréler les informations visuelles et aromatiques requiert un entraînement spécifique, comme la dégustation de vins dans des verres noirs.

Le goût de la couleur est aussi très culturel : la vanille ou le melon n'ont pas le même code couleur dans tous les pays.

Les élèves sont en possession d'un code QR imprimé récupéré à l'entrée de l'exposition. En le présentant devant le scanner du distributeur automatique, ils récupèrent une mini madeleine de 10 g et de couleur aléatoire (rose, noir, violet, naturel). Un poste multimédia voisin les guide via un écran tactile : déclarer la couleur, déguster, déclarer l'arôme perçu parmi une liste de propositions (ex : citron, banane, vanille, poire, fraise, framboise, cerise, pistache, citron vert...). Le multimédia révèle ensuite la bonne réponse et les statistiques des réponses des autres visiteurs. Il avertit les visiteurs : pas de divulgâchis ! Il faut garder le secret pour ne pas gâcher l'expérience des autres.

Sentir le goût

Le goût, c'est environ 80 % d'odorat. Après l'olfaction directe des odeurs par le nez, l'odorat joue encore un rôle lorsque l'aliment est en bouche : les molécules aromatiques volatiles remontent dans la cavité nasale et y rencontrent les récepteurs olfactifs. En empêchant ce mécanisme par un simple pincement de nez, l'aliment perd soudain presque tout son goût ; en fait il ne reste que les saveurs sur la langue (sucré, salé, acide, amer...) et les sensations dites trigéminales (piquant, frais, astringent, brûlant...). En relâchant le pincement de nez, on découvre les arômes et leur prédominance.

À l'aide d'un distributeur manuel, l'élève récupère une graine de coriandre. Une consigne illustrée l'invite à se pincer le nez et à mâcher la graine de coriandre reçue en début de parcours : sent-il un goût ? Puis à relâcher le pincement : et cette fois, sent-il quelque chose ? L'intérêt de la graine de coriandre réside dans le fait qu'elle n'a aucune saveur : on ne sent rien sur la langue. Alors qu'en se débouchant le nez, on perçoit soudain la richesse de ses arômes.

La β-ionone

Selon son patrimoine génétique, chaque individu détecte différemment les odeurs. Il existe 400 types de récepteurs impliqués dans l'odorat (contre trois pour la vue), avec de grandes variations d'une personne à l'autre, tant au niveau du nombre de gènes, que des gènes eux-mêmes. Prenons l'exemple de la β-ionone. Dérivée du carotène, elle est responsable de certains arômes floraux (violette) ou fruités (baie) dans les légumes, les fruits, le vin rouge. Elle est aussi fréquemment utilisée en parfumerie. Or, environ 50 % des Français ne perçoivent pas cette molécule en raison d'une mutation (un A au lieu d'un G sur le chromosome 11). Avis aux parfumeurs !

L'élève place son visage devant une cavité hémisphérique, abaisse un levier qui déclenche la diffusion aromatique de β-ionone (odeur de violette). Il la perçoit ou ne la perçoit pas, ce qui l'informe sur son patrimoine génétique.

Écouter la texture

La texture de l'aliment caractérise le toucher de sa surface comme les sensations lors de la mastication. Tendreté, jutosité, onctuosité... Essentielle à l'identification de l'aliment, elle participe au plaisir qu'il procure : que vaut une chips qui ne croustille pas ? Une pomme farineuse ? Une barbe à papa qui ne fond pas dans la bouche ? C'est un ressort des cuisiniers pour créer la surprise : combiner, modifier les textures, jouer le côté régressif d'une bouillie ou encore créer des sons en bouche... Le vocabulaire paraît parfois limité pour qualifier ces sensations si nuancées. La brique à l'œuf : croquante, craquante, croustillante ? Moelleuse, crémeuse, coulante ? Pourtant, il faut être en mesure de l'évoquer avec précision pour en partager le plaisir. Le vocabulaire scientifique (rhéologie) est à comparer au vocabulaire professionnel (cuisine, sommellerie) ou profane (fromage, igname...).

Un dispositif constitué de deux petits haut-parleurs est encastré dans une tablette. Les élèves sont invités à poser les coudes sur les haut-parleurs, puis à porter leurs poignets sur leurs oreilles. Par conduction osseuse à travers les avant-bras, ils perçoivent alors un montage sonore. Des sons de mastication, puis un propos écrit et lu par le chef cuisinier Arnaud Daguin sur la texture du croissant sont proposés.

Sentir et ressentir

Un aliment qui sent fort - fromage, chou... - apprécié en France peut être jugé écœurant ailleurs, et inversement. Le voyage à l'étranger est parfois l'occasion de découvrir de nouvelles odeurs, avec plus ou moins de plaisir. Lorsque nous percevons une odeur, avant-même d'en avoir conscience, le réseau hédonique du cerveau la classe : bonne ou mauvaise. Une odeur forte, si elle est inconnue, sera classée négative, associée à un risque. Si elle nous est familière, elle sera classée selon nos préférences individuelles, intimement liées à notre culture et à notre expérience. On dit que la culture détermine un « territoire alimentaire ».

Les visiteurs sont invités à sentir à l'aveugle quatre odeurs dans quatre cavités hémisphériques disposées le long d'une cimaise. Chaque odeur est diffusée après action sur un petit levier. Les odeurs sont celles de produits fermentés, des odeurs fortes et à forte valeur culturelle. On reconnaît et apprécie la vanille, mais on est dérangé par l'odeur du parmesan... avant de savoir ce que c'est. Sa valeur culturelle modifie l'appréciation. À l'inverse, on restera dérangé par l'odeur de la « marmite » anglaise, un condiment à base de levain, méconnu en France.

Cette expérience est suivie d'un court film « Une tartine d'acarien » où de gros plans de produits fermentés sont accompagnés d'un commentaire lu par l'acteur Denis Lavant. Le film (c'est le petit espace "Délices" sur le plan de l'exposition) interroge sur les goûts et les dégoûts.