L’étude des feux dans la galerie des Mégacéros est un superbe exemple d’enquête scientifique qui mêle étude de terrain, analyse au laboratoire, archéologie expérimentale et simulation numérique. La question de départ est de comprendre la fonction des feux qui ont manifestement été allumés par les Aurignaciens dans la grotte et en particulier dans une partie profonde appelée la galerie des Mégacéros. Dans cette galerie, la surface des altérations dues à des feux (thermo-altérations) est particulièrement importante : environ 23 m2 reparties en sept zones de feu. Les traces apparentes de ces feux sont multiples.
On trouve des suies sur les parois, identifiées par spectroscopie Raman* au laboratoire. Toutefois, ces suies sont plutôt les témoins de zones où les feux sont restés modérés et pour lesquels la température de la paroi n’a pas dépassé les 400 °C.
On trouve des charbons de bois au sol qui ont souvent été déplacés par rapport à l’endroit où ils ont été produits. Ils n’indiquent donc pas nécessairement la présence d’un foyer et leur absence ne signifie pas qu’il n’y en a pas eu de feu à cet endroit. L’eau de ruissellement ou les passages des ours ou des humains peuvent avoir effacé ces traces.
On constate des altérations mécaniques : des fissurations, des éclatements de la roche et des écaillages de la paroi (appelés thermoclastes). Les thermoclastes se détachent parfois de la paroi. Ces écaillages, qui se produisent quand la roche est portée à plus de 300 °C, ont même endommagé des dessins préexistants comme l’arrière-train de l’ours central du Diverticule des Ours. Sur certaines parois, on trouve plusieurs couches d’écaillages successifs qui témoignent d’une succession de phases de combustion.
On observe des changements de couleur de la roche qui prend des teintes roses ou grises. On parle de rubéfaction, car l’oxyde de fer contenu dans le calcaire de la grotte Chauvet (tous les calcaires n’en contiennent pas) s’oxyde à la chaleur et donne une couleur rouge à la roche chauffée. Ces teintes sont un indice précieux de la température atteinte par les parois. Des expériences de combustions réalisées au laboratoire ont permis de construire un référentiel de couleur. Il est ainsi possible de savoir jusqu’à quelle température les parois rubéfiées ont été portées lors des feux. Des expériences de thermoluminescence effectuées sur des morceaux de calcaire rubéfiés, prélevés dans la grotte, ont confirmé qu’ils avaient subi une chauffe ancienne et intense.
Forts de ces indices précis, peut-on imaginer quelle était l’intensité des feux réalisés et la quantité de bois que les humains avaient dû apporter pour cela ? Oui, mais comme on ne dispose pas d’une salle de géométrie identique à la grotte pour reproduire les feux, il a fallu construire un modèle numérique et faire appel à la physique des fluides. Et pour valider ce modèle, des feux expérimentaux ont été réalisés dans une carrière de volume comparable à celui de la galerie des Mégacéros. Ces feux expérimentaux ont été produits avec du pin sylvestre, essence utilisée dans la grotte Chauvet, comme le confirme l’étude des charbons de bois et les analyses anthracologiques*. Le modèle numérique a permis d’estimer la quantité de bois nécessaire pour chacun des sept ou huit feux de la galerie des Mégacéros qui ont également pu être précisément localisés.
Certains de ces feux étaient gigantesques. Il est donc peu probable qu’ils aient servi d’éclairage, de chauffage ou de balisage. Ils ont pu aider à préparer la paroi à recevoir des ornements, soit parce qu’une coloration rose était souhaitée, soit parce que le chauffage provoquait un ramollissement de la paroi propice aux gravures. Ces feux permettaient également sans doute de produire du charbon de bois utilisé ensuite pour dessiner. Mais l’explication est peut-être insuffisante. La taille des feux inspire l’idée du spectaculaire et l’une des pistes est d’imaginer que le feu faisait partie du rituel, qu’il éclairait les ornements et produisait une ambiance sonore, un « son et lumière », en quelque sorte. D’autres études et simulations seront nécessaires pour vérifier cette nouvelle hypothèse.