Au tournant des XVIIIe et XIXe siècles en France, l’industrie revêt pour certains un sens inclusif intégrant et connectant toutes les sphères des activités économiques. Ce sens politique glorifie le tiers-état comme producteur de richesses, comme le revendique Jean-Antoine Chaptal dans De l’industrie française (1819), fondateur de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale (1801). L’industrie pour Chaptal recouvre « l’industrie manufacturière » mais aussi « l’industrie agricole » et le commerce. Elle fait encore une place aux gestes de métier, érigés en « génie » français lors de l’exposition universelle de 1851.

C’est dans ces milieux, « industrialistes », que naît la notion de « révolution industrielle », d’inspiration libérale et radicale avant 1840, qui résulte de débats et de luttes politiques, plus que de l’observation de réalités économiques.

L’un des premiers dirigeants du Conservatoire des arts et métiers, Gérard-Joseph Christian définit le « travail industriel proprement dit » comme incluant toute fabrication (artisanale, manufacturière, usinière), toute « transformation de matières premières et préparation de diverses combinaisons organiques » mais excluant l’agriculture et le commerce.

On pourrait multiplier les définitions, par exemple en se portant Outre-Manche où se déploie la philosophy of manufactures soit une « économie morale du système automatique » selon Andrew Ure (1832), non sans débats aussi en Angleterre.

Les historiens aussi sont partagés et tout un courant revendique une acception ouverte de l’industrie, irréductible au machinisme et à la concentration usinière.

L’initiative est venue des médiévistes. Pour Philippe Braunstein, en 1998, le Moyen Âge connaît l’industrie : « l’industrie existe avant l’industrie ». Il revendique en cela une définition extensive de l’industrie : « une production quantitativement importante, régulière, de qualité constante, qui dépasse le marché local ».

Ces analyses dessinent des continuités de long terme. Bien des travaux ont montré l’importance de la sous-traitance, clé de voûte de l’intensification du travail depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours. « Pratique de long terme inscrite dans une pluralité de contextes productifs », la sous-traitance est « partie intégrante de l’organisation artisanale et industrielle » (Manuela Martini). Qu’elle serve la spécialisation flexible comme alternative à la production de masse ou les logiques d’exploitation, dans les métropoles européennes du XIXe siècle et dans le textile actuellement en Asie, elle repose sur une fragmentation de la production jusqu’à l’externalisation mondialisée via des plates-formes en ligne. Elle signe aussi la fin d’un mode de production industriel en Europe, celui de l’usine, dont les symboles seraient les hauts-fourneaux lorrains. Les défenseurs du patrimoine industriel savent comme il est difficile de conserver même les traces de cette industrie disparue.

Il faut donc prendre la mesure des assignations politiques et idéologiques du mot industrie à travers le temps et prendre aussi la mesure du renouveau historique qui a placé la pluralité des modes de production au cœur de toute compréhension des univers industriels, passés et présents.