Ritualiser les passages pour accompagner notre part vulnérable à l'épreuve de l'hypermodernité ? par Françoise Hatchuel, Carrefours de l'éducation, 2020/2 (n° 50), pages 49 à 62.

« L'article s'efforcera de montrer en quoi, dans nos sociétés hypermodernes, les rituels peuvent constituer des modalités d'accompagnement des différents passages que vivent les sujets humains en général et les adolescent·e·s. en particulier et des angoisses archaïques que ces passages sont susceptibles de réactiver, angoisses qui constituent la « part vulnérable » de chacun·e de nous.

Nous définirons cette « part vulnérable » de chacun·e comme le sentiment que nous avons de ne pas toujours être porté·e·s (au sens de Winnicott) comme nous en aurions besoin, en considérant que la façon que nous avons de l'accueillir se construit dans les premiers liens du nourrisson aux adultes qui prennent soin de lui, et qu'elle est ensuite remise à l'épreuve lors des moments de transition et de passage, et notamment de passage à l'âge adulte. Étudier la façon dont les sociétés dites « traditionnelles » ritualisent ces passages nous aide à comprendre la façon dont nous pourrions le faire aujourd'hui. Pour cela, nous partirons d'un constat : la façon dont l'hypermodernité, notamment par ses effets de désaffiliation et d'autoréification met à l'épreuve cette vulnérabilité, et la nécessité pour chacun·e d'apprendre à mieux accueillir sa propre part de vulnérabilité pour mieux accompagner celle d'autrui. Nous travaillerons pour cela à partir de la dynamique d'un entretien « raté » avec un adolescent et de différentes vignettes issues à la fois de la littérature et de récits ou de vécus d'étudiant·e·s du parcours de master dont l'auteure est responsable. Éclairés par une double lecture théorique, à l'articulation de l'anthropologie et de l'approche clinique d'orientation psychanalytique, ce matériel permettra de montrer la pertinence et l'importance de la phase de marge pour accompagner chacun·e dans l'effectuation du passage, au carrefour de l'individuel et du collectif : obligation collective de l'effectuer, possibilité individuelle de le faire à sa façon et donc de se sentir accueilli·e dans le nouveau groupe. Cette théorisation peut alors nous aider à penser les changements de statuts professionnels et les attaques institutionnelles et, par conséquent, la vulnérabilisation provoquée par l'hypermodernité. »